En effet ces commerçants ne disposent pas de places fixes et sont obligés d'occuper la voie publique, où ils sont constamment traqués par les autorités. De ce fait, la rencontre entre les réseaux sociaux caractérisés par leur pouvoir de réduction de contraintes géographiques et le commerce informel dominé par le besoin de mobilité semble être un moyen astucieux pour les acteurs du commerce informel.
Introduction
L'utilisation d'internet est marquée par une utilisation forte et transversale des réseaux sociaux. Actuellement, le monde compte plus de 4 milliards d'internautes, dont 54 % d'actifs sur les réseaux sociaux, soit 43 % de la population mondiale. Pour la première fois, l'Afrique suit à un rythme impressionnant les innovations impulsées depuis les pays développés en moins d'un demi-siècle. Le continent africain se targue de plus de 435 millions d'internautes et d'un taux de pénétration de 34 %. En 2017, l'Afrique a enregistré une croissance de 12% d'utilisateurs des réseaux sociaux, ce qui porte le nombre d'utilisateurs à 191 millions (Atchoua, Bogui et Diallo, 2020). Plusieurs facteurs ont contribué à la prouesse de l'accès à la connexion et aux réseaux sociaux en Afrique ; parmi eux figurent l'émergence du téléphone mobile et la libéralisation du secteur des télécommunications. Ces facteurs touchent l'essentiel des pays africains notamment le Sénégal considéré comme pionnier dans le domaine des télécommunications en Afrique subsaharienne. Son nombre d'abonnés ne cesse de progresser à une proportion qui dépasse toutes les prévisions. En 2019, l'Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes du Sénégal (ARTP, 2019) estime le nombre de ligne internet à plus de 12 millions. Suivant le rythme d'évolution des innovations planétaire, l'engouement des Sénégalais pour ce réseau continue d'impressionner le monde avec plus de 7 millions d'utilisateurs des réseaux sociaux, composés aussi bien de la population instruite que celle non instruite.
Dans un contexte de forte croissance démographique et une urbanisation non planifiée, une série de problèmes entrave le développement de la ville. Cette série de problèmes pousse les habitants à tenter de résoudre ces défis de la ville contemporaine par le moyen d'un système intelligent et indépendant basé sur les TlC (Copaja-Alegre et Esponda-Alva, 2019). Ces dernières portent de nos jours des réseaux sociaux dont l'accès est de plus en plus important. C'est pour cette raison que l'enthousiasme presque général porté sur les réseaux sociaux est devenu source d'inspiration pour de nouvelles pratiques pour les populations urbaines et surtout pour les commerçants qui y trouvent un moyen pour alléger certaines contraintes spatiotemporelles rencontrées en ville. Relativement, la cause de cette situation est la prolifération du commerce informel, résultant de l'arrivée massive d'une population qui n'a pas souvent une qualification capable de garantir l'emploi en milieu urbain. Le secteur informel a un poids considérable dans l'économie urbaine, il représente 60 % des activités de ces zones. Il est dominé par le commerce informel souvent indissociable de facteur spatial, temporel et juridique contraignant et parfois d'une très grande complexité. En effet ces commerçants ne disposent pas de places fixes et sont obligés d'occuper la voie publique, où ils sont constamment traqués par les autorités. De ce fait, la rencontre entre les réseaux sociaux caractérisés par leur pouvoir de réduction de contraintes géographiques et le commerce informel dominé par le besoin de mobilité semble être un moyen astucieux pour les acteurs du commerce informel. Quels sont les facteurs qui déterminent l'utilisation des réseaux sociaux par les acteurs du commerce informel ? Quels sont les impacts de l'utilisation de ces réseaux ? En quoi les réseaux sociaux actualisent-ils la problématique de la régulation ?
La méthodologie adoptée dans la rédaction de cet article consiste à une enquête qualitative et quantitative effectuée auprès de la population de la ville de Dakar. L'enquête quantitative est faite au mois de mars 2018 auprès d'un échantillon de 500 individus pour apprécier le niveau d'utilisation des réseaux sociaux d'une part et d'autre part le recours au commerce via ces réseaux. Tandis que l'enquête qualitative concerne des commerçants contactés par le biais des réseaux sociaux ou qui sont retrouvés dans des marchés pour apprécier leurs opinions sur la vente via les réseaux sociaux. Cette enquête est effectuée à la même période.
La structuration de l'article est faite autour de deux points essentiels. Le premier point porte sur les déterminants de l'utilisation des réseaux sociaux et leur impact dans le commerce informel. Le deuxième point traite la question de la régulation.
USAGES DES RESEAUX SOCIAUX PAR LES ACTEURS DU COMMERCE INFORMEL
Déterminants de l'adoption des réseaux sociaux
La société numérique sénégalaise est très fortement marquée par le développement du mobile qui part de la capitale Dakar pour s'élargir au reste du pays. Avec l'existence de trois opérateurs de téléphonie mobile, la capitale est entièrement couverte et révèle un taux de détention du téléphone portable estimé selon l'enquête à 99 % pour un pays qui a un taux d'alphabétisation de près de 60 %. Cet outil d'usage quotidien est presque indispensable pour la population surtout en milieu urbain, afin de satisfaire leurs énormes besoins de communication. Dans le cadre de l'utilisation des TIC, la capitale sénégalaise s'inscrit dans la logique africaine avec une dominance du téléphone portable. L'enquête nous révèle que ce sont seulement les 35 % de l'échantillon interrogé qui détient un ordinateur. L'utilisation du téléphone mobile est presque incontournable et elle est de plus en plus dominée par des téléphones de type Smartphone. Ce type d'appareil est utilisé généralement par une population jeune dont la plupart sont au chômage. Cette classe de population cherche alors des moyens pour palier à leur situation économique. Ce faisant, les opportunités offertes par les réseaux sociaux pour développer un commerce sont rapidement saisies par les jeunes.
Selon l'enquête, 79,8 % des téléphones utilisés sont des Smartphones, la population de 15 à 30 ans est celle qui les utilise de plus. Elle représente plus de 64 % des usagers de ces types de téléphones. Pourtant, cette couche de la population est très fortement touchée par le chômage. Elle représente plus de 70 % de la population en chômage du pays (ANSD, 2017). Le succès de l'utilisation des téléphones Smartphones est lié à l'arrivée de nouveaux équipementiers qui proposent des gammes de téléphones très variés à des prix accessibles au pouvoir d'achat de la population. En plus cette dernière décennie les coûts de communication mobile ont considérablement baissé sous l'effet de la concurrence entre les trois principaux opérateurs (Orange, Tigo devenu Free et Expresso) qui dominent le marché de la téléphonie mobile au Sénégal.
Les raisons évoquées pour expliquer cette utilisation massive du Smartphone sont souvent liées, au-delà de la communication, au caractère multi-fonctionnel de l'outil. En effet, le téléphone portable prend peu à peu une place prépondérante dans la vie des individus en substituant les appareils photo, les lecteurs audio et dans une certaine mesure les portemonnaies. De ce fait, l'ensemble des innovations compatibles aux nouveaux types ont tendance à avoir un écho favorable dans la société.
L'avènement de la connexion mobile a alors bouleversé le cadre d'accès à internet qui touche davantage de populations du pays. Si la connexion filaire est très contraignante surtout en matière de moyens financiers, la connexion mobile est fondée sur un plan contraire. Le prix de connexion varie certes d'un opérateur à un autre, mais il est facturé à partir de 50 FCFA pour au moins 10 Mo. Par conséquent, la connexion mobile représente entre 70 et 80 % des moyens d'accès à internet. Dans cette circonstance, le développement des réseaux sociaux adaptés aux usages du matériel existant à un coût abordable influence davantage de personnes à les utiliser. On constate à partir de l'enquête une forte utilisation de ces réseaux en vue de satisfaire des besoins de communication qui se faisaient alors par des appels téléphoniques directs.
La commodité sociale et économique des nouvelles applications numériques pousse la population à orienter sa communication vers les réseaux sociaux. En effet, les résultats de l'enquête montrent que 57 % de notre échantillon utilisent ces réseaux pour leur facilité liée au fait qu'ils ont pu corroborer les réalités socioéconomiques et culturelles d'une population relativement analphabète. Au-delà des prix, les réseaux sociaux disposent généralement des outils utilisables à vue, qui permettent de transmettre des messages audios. Ce type de messagerie permet à la fois le maniement de ces applications par des usagers analphabètes, et leur intégration dans une société où l'oralité est d'une grande importance. En réalité, les réseaux les plus utilisés, dont Whatsapp et Facebook ont développé des fonctionnalités nouvelles représentées par des icônes simples dont la plus grande exigence est la vision. Le fait de ne pas pouvoir lire ou écrire ne produit plus le même effet face à ces technologies numériques.
L'ensemble de ces facteurs est à l'origine de la ruée vers le numérique en général et les réseaux sociaux en particulier. L'utilisation massive de ces réseaux est devenue un véritable « phénomène de société » (Bakis, 2010). Dans ce mouvement, les commerçants du secteur informel ne sont pas en reste, malgré leur niveau d'étude constitué de 22,8 % de personnes ayant fait des études primaires, 28,7 % qui n'ont aucun niveau ou qui ont effectué des études coraniques et qui représentent 62,6 % des acteurs (ANSD, 2013). Les acteurs du commerce informel sont confrontés à d'énormes difficultés inhérentes à leur activité en ville. Ce secteur est très dynamique et progresse en fonction d'une forte urbanisation marquée par l'arrivée massive de populations qui ne détiennent pas souvent les qualifications de travail en ville. À la recherche de solutions, cette population s'investit dans le commerce en détail de manière informelle sans forcément avoir un emplacement fixe et des moyens pour devenir revendeur reconnu. Ils vont à la conquête de leurs clients et ils privilégient la vente sur les trottoirs, dans les quartiers entre autres pratiques qui impliquent un effort physique et les exposent à toute sorte d'insécurité. Cet effort physique consiste à la marche à travers les artères de la ville, pour rencontrer de potentiels clients. De ce fait, les acteurs du commerce informel sont à la recherche continue de solution pour faire face à leur situation.
Le développement des TIC et l'adaptation des réseaux sociaux au contexte socioéconomique sénégalais ont inspiré inopinément ces acteurs du commerce informel à amorcer des pratiques commerciales en ligne. Ils mettent désormais les contenus de leur commerce en ligne via Facebook ou Whatsapp, ces réseaux devenus accessibles à un grand nombre de personnes. Les réseaux sociaux tendent ainsi à réor ganiser le cadre de fonctionnement économique du secteur informel. Ils renforcent le secteur et le donne une plus grande portée. Auparavant, l'effort physique était de mise dans les actions commerciales, car la plupart des commerçants de ce secteur étaient obligés de porter leurs marchandises en faisant le tour des quartiers à la recherche de clients. Mais, avec l'utilisation des réseaux sociaux par ces acteurs c'est la créativité et le talent qui priment pour développer cette activité qui s'adapte à la diffusion de l'information à grande échelle sans nécessairement débourser de gros moyens. L'enjeu des commerçants de ce secteur est d'avoir une présence auprès de sa clientèle. Or, les réseaux sociaux permettent de satisfaire cette attente consistant à « être partout tout le temps ». Cette situation permet à chacun de créer, d'échanger et de consommer de la valeur partout (Jarrosson, 2009). L'exploitation du pouvoir des réseaux sociaux, diffusant des informations à grande échelle, permet aux commerçants du secteur informel de multiplier le potentiel des ventes tout en réorientant leur effort. En plus de leur lieu d'activité habituel, les commerçants du domaine informel disposent d'une large possibilité de publicité et d'un moyen astucieux pour organiser leurs déplacements.
Commerce informel : conséquences de l'adoption des réseaux sociaux
Dans le contexte de développement des TIC, l'État a porté l'initiative de commerce électronique à travers la plateforme Trade Point Sénégal en 1996. En effet, la décision du Sénégal à mettre en place une stratégie de e-commerce fait suite à la conférence des Nations Unies pour le commerce et pour le développement en 1992. L'objectif du pays était de renforcer, à travers cette plateforme, l'efficacité des opérateurs économique en allégeant les formalités administratives et en créant un cadre publicitaire performant. Cependant, cette innovation n'a connu qu'un succès éphémère avant d'être rapidement reprise par des entreprises privées. Ces dernières ont créé des sites de e-commerce à l'instar de taftaf.com,[1] mais leur succès fut également fragile. Cette tendance chancelante du commerce électronique n'a commencé à changer qu'en 2008 surtout avec le vote de la Loi 2008-08 du 25 janvier 2008, portant transactions électroniques. Sur le plan de la législation, cette loi donne un nouveau souffle au commerce électronique. De cette période à nos jours bien que le succès des sites de commerce en ligne soit parfois mou, on note une amélioration du secteur par la multiplication des professionnelles et des populations urbaines intéressées par ce commerce. Alors en 2014 on estime le nombre d'opérations via ces sites à 600 000, ce chiffre est susceptible de passer à 1 000 000 en 2018. Actuellement, plus de 70 sites sont répertoriés et ils offrent un cadre de publicité et de vente à plusieurs acteurs, dont ceux du commerce informel. Mais ce sont souvent des personnes instruites et qui ont un niveau de connaissance des TIC qui sont concernées. Les sites de e-commerce sont très diversifiés, mais peuvent être catégorisés en fonction de leur spécialité qui détermine également leur audience.
Sur les 70 sites de e-commerce répertoriés, les plus utilisés sont ceux orientés vers les généralités et les petites annonces qui attirent les populations sans réellement avoir un impact sur le commerce informel traditionnel. Dans ce secteur, le client a le privilège de voir et parfois d'essayer un produit avant de discuter son prix de vente, c'est cet aspect que les sites n'offrent généralement pas. Par contraste avec les sites, les réseaux sociaux se rapprochent plus des réalités du vécu vendeur-acheteur des marchés sénégalais. Ces réseaux donnent une large possibilité de discussion entre les acteurs avec beaucoup de facilité, ce qui a permis au commerce en ligne prend une nouvelle dimension. Les réseaux ont fini par donner une dimension plus humaine et sociale du commerce en ligne et par intégrer de nouveaux acteurs. En effet, l'évolution du commerce électronique a été ralentie par le manque de confiance des usagers qui n'ont presque pas d'informations sur les vendeurs. Par contre, le commerce via les réseaux se fait pratiquement entre des individus qui se connaissent et qui partage un même espace géographique.
En plus, les réseaux sociaux permettent l'apparition d'acteurs intermédiaires, dont la principale activité est la redistribution des publications. À partir des publications des vendeurs, ces intermédiaires peuvent revendre des produits sans en être les propriétaires. Ils négocient un prix préférentiel avant de proposer le produit à des clients à un prix un peu plus élevé. Le plus souvent, ils vendent directement à leur proche puisque ce type de commerce sur les réseaux sociaux est avant tout fondé sur la confiance des interlocuteurs. C'est pour cette raison que les ventes à travers ces réseaux continuent d'avoir de l'ampleur. En matière de commerce électronique, l'enquête révèle que 50 % des personnes interrogées sont informées de ces pratiques commerciales, mais ce sont seulement les 22 % de cet échantillon qui affirment avoir une fois fait une transaction en ligne via les sites. Par contre, 28 % de l'échantillon affirme avoir une préférence aux réseaux sociaux où ils peuvent discuter largement du produit avant de l'acheter.
Le secteur commerce informel est souvent une activité qui répond principalement aux besoins ponctuels de la population, c'est ce qui justifie en partie son importance dans la ville. Il représente 53,6 % des activités exercées en milieu urbain par des migrants venus essentiellement de l'intérieur du pays. Selon L'Agence nationale de la Statistique et de la Démographie, les entrepreneurs originaires des autres villes du pays représentent 48,2 % contre 19,0 % issus de la population dakaroise (ANSD, 2013). Ils investissent généralement dans le commerce informel, un secteur très rentable, compte tenu du revenu journalier des commerçants estimé en moyenne à 2125 FCFA. Malgré cette rentabilité, il est souvent conflictuel, car le secteur entraine une perte de revenu de 100 milliards de FCFA soit plus de 170 millions de dollars à l'État, rien que par l'occupation de la voie publique. De ce fait, le pouvoir public cherche à encadrer le secteur qui ne vit que de sa proximité avec sa clientèle. En réalité, l'adoption des réseaux sociaux par le commerce informel permet aux commerçants de faire face à deux principales deux difficultés, celle de la proximité des clients et celle liée à l'opposition au pouvoir public. Ainsi, les commerçants utilisent généralement deux types de commerce en fonction du réseau Whatsapp ou Facebook. Le premier donne plus de faveurs aux commerçants qui ne peuvent ni lire ni écrire. Cette première application permet facilement à une personne illettrée d'entretenir une conversation audio avec ses correspondants. C'est pour cette raison qu'il est très fortement utilisé par les commerçants malgré le fait que son champ d'évolution est plutôt restreint, car il ne se limite qu'au répertoire du vendeur. Tandis que Facebook est plus élargi, mais plus exigeant en matière de lecture et d'écriture. Au cours des entretiens effectués auprès de commerçants, ils ont fait remarquer cette différence de l'utilisation de Whatsapp ou de Facebook.
Extrait d'entretien avec Modou, commerçant illettré au marché HLM:
Depuis qu'on m'a montré comment faire un statut sur Whatsapp, chaque matin j'actualise mon statut en publiant mes produits. Je discute avec mes clients sur les prix et des modalités d'acheminements de la marchandise par des messages vocaux. Au paravent, ce sont mes contacts seulement qui se renseignaient sur mes activités, mais quand j'ai compris qu'ils pouvaient les partager avec d'autres, la discussion est devenue plus facile. Je vends mieux et je me repose davantage, car je sais que quoi qu'il en soit mes clients m'appelleront en cas de besoin. Tous nos échanges se font par des messages vocaux. Parfois, ce sont les clients qui m'envoient le produit qu'ils veulent et moi je le leur cherche dans le marché. Une fois trouvé, je le photographie, j'envoie et je discute du prix. Même si le produit vient d'un autre commerçant si moi je le revends je gagne un peu. Avec la vente sur Whatsapp j'ai vraiment constaté une amélioration de mon activité.
Bien que cette catégorie de population de commerçants ne soit pas la seule sur ce réseau, sa présence est plus importante sur Whatsapp que sur Facebook. L'application Whatsapp est moins exigeante en matière de connaissance de lecture et d'écriture. Elle est plus facile à manier et est compatible avec la qua si-totalité des Smartphones utilisés. Ce qui fait que Whatsapp est le réseau social le plus utilisé suivi de Facebook. Plus de 77 % des répondants à l'enquête utilisent régulièrement cette application. Dans le même échantillon interrogé, 60,6 % sont en même temps des utilisateurs de Facebook. L'utilisation des réseaux sociaux semble toucher l'essentiel des usagers de la téléphonie mobile qui représente 99 % des personnes interrogées. De ce fait, ces réseaux sont un immense espace d'échanges favorable à des commerces disposant très souvent de moyens dérisoires et confrontés aux limites spatiotemporelles rencontrées en ville. Ses avantages influencent l'arrivée de certains acteurs discrets, ils se caractérisent à la fois par la difficulté d'effectuer une évaluation précise de leurs activités et détermination de leurs localisations en vue de les contrôler. Mais, ils trouvent leur compte dans le commerce en utilisant ces réseaux.
Extrait d'entretien avec un étudiant titulaire d'un master en droit:
L'utilisation des réseaux sociaux est très efficace, elle me permet d'augmenter mes revenus tout en faisant moyen d'efforts. Je fais mes publications sur Facebook et sur Whatsapp et je trouve que c'est très efficace si l'on a une certaine maitrise de ces outils. Ils nous permettent de vendre à des prix plus intéressants que ceux qu'on obtient en vendant directement sur place. Et puis, nous avons moins de charges et plus de produits à vendre, car même si nous ne sommes pas des propriétaires on peut se positionner en intermédiaire. Par conséquent, on est capable de vendre le produit d'un autre commerçant sans avoir à l'acheter au préalable et à le stocker. Je ne peux pas donner un chiffre exact, mais je connais des petits commerçants avec qui je suis qui n'ont pas le potentiel de vente que j'ai. D'ailleurs, ils commencent à me demander peu à peu comment vendre sur les réseaux sociaux.
Le volume des transactions effectuées dans le cadre du commerce informel a augmenté sous deux angles. Le premier est en relation avec l'élargissement de l'environnement du commerce tandis que le second est lié à l'augmentation du nombre de commerçants. Il est presque impossible d'établir une estimation correcte du nombre d'acteurs qui évolue dans ce secteur, surtout en ce moment où les réseaux sociaux impulsent de nouvelles tendances commerciales portées par des acteurs très peu ordinaires. Ces derniers sont constitués de personnes qui ne sont pas à priori destinées au commerce, mais elles le pratiquent au sein de structures publiques et privées réservées à d'autres activités. En plus des intermédiaires, cette nouvelle catégorie d'acteurs rallonge l'effectif des commerçants du secteur informel et la chaine d'échange. Il est difficile de donner le nombre exact de commerçants du secteur ou de dire très précisément leur revenu journalier, mais on peut signaler que les personnes interrogées sont très attachées à cette nouvelle forme de vente.
Extrait d'entretien avec Ibou commerçant illettré:
À l'approche de la fête de Tabaski mon téléphone portable a été volé ici parce qu'il y'avait trop de monde. C'est grâce à cet appareil que je faisais beaucoup de transactions en discutant avec mes clients par des messages vocaux. Je parvenais à vendre sur place et à distance mes revenus étaient vraiment élevés. Actuellement, certains clients m'appellent pour reprocher le fait que je n'ai plus Whatsapp, même moi je suis conscient que c'est un handicap. C'est pourquoi je vais bientôt chercher un autre téléphone.
Le commerce informel regorge de biens et services d'utilisation quotidienne des populations de plus en plus connectées aux réseaux sociaux. Partant, ces derniers ont permis d'impulser une nouvelle dynamique d'échange qui ne fait que renforcer ce commerce. Le commerce informel, au paravent limité principalement dans les rues, est maintenant pratiqué dans des lieux qui n'avaient pas pour vocation d'accueillir de vendeurs.
Extrait d'entretien avec T.D fonctionnaire:
Grâce aux réseaux sociaux, je parviens parfois à gagner presque le double de mon salaire. Je reçois des produits cosmétiques depuis l'étranger et je les vends via une boutique en ligne que j'ai créée sur Facebook et via Whatsapp. Au travail, mes collègues me trouvent à mon bureau pour récupérer ou pour faire leur commande. Actuellement, j'ai quelqu'un qui se charge de la livraison, chaque fois que j'ai une commande provenant de l'extérieur de mon service je l'appelle, il se charge de livrer et il prend la part qui lui revient.
Le marché n'est plus occupé par les sans-emploi et par ceux qui n'ont pas les qualifications pour répondre aux emplois de la ville, il est devenu une affaire de tous, partout, et tout le temps. Cette situation conduit à donner une nouvelle dynamique renforçant le commerce informel à Dakar et dans le reste du pays.
LES RESEAUX SOCIAUX EN MAL DE REGULATION
Au nom de la jonction des mesures
Dans la plupart des pays, les réseaux sociaux sont considérés comme un potentiel qu'il faut nécessairement exploiter. Mais, sans une régulation appropriée, ces réseaux peuvent être à l'origine de plusieurs préjudices qui touchent aussi bien le pouvoir que la population. Aujourd'hui, les notions de fake-news et de piratage sont en vogue, elles sont portées surtout par ces réseaux en mal de régulation. De la même façon dont les réseaux favorisent l'amplification des pratiques économiques, ils peuvent se hisser comme de véritables obstacles à l'économie numérique. La faiblesse de l'exigence à l'encontre des usagers a fait que plusieurs acteurs interviennent sans qu'il y ait parfois des principes qui régissent leurs échanges. Partant de cette situation, on peut constater plusieurs dérives et la diffusion de fausses informations pouvant induire les clients à des erreurs ou à la concurrence mal saine. Le besoin de régulation est imminent aussi bien dans les pays développés que ceux en développement.
Dès lors, il est nécessaire de coordonner les actions afin de réussir le contrôle des usages faits sur les réseaux sociaux. L'UEMOA et la CEDEAO étant les deux grandes organisations communautaires de l'Afrique de l'Ouest se sont inscrites dans cette logique. À partir de l'an 2000, l'UEMOA s'est intéressée à l'harmonisation des politiques en matière de télécommunication, à travers sa recommandation n° 03/2000/CM/UEMOA du 22 novembre 2000. Mais, son action porte surtout sur la création d'un espace communautaire pour accueillir les entreprises des TIC qui peuvent profiter d'une liberté de concurrence. Quant à la CEDEAO, elle met l'accent sur les États en vue de favoriser une meilleure utilisation des TIC par les populations entre les pays membres. Elle a conduit à l'adoption d'un cadre harmonisé des politiques et réglementations du secteur des TIC le 19 janvier 2007. Tous les États membres sont alors appelés à se conformer à ce cadre. Par conséquent, l'UEMOA et la CEDEAO définissent clairement leurs options pour les États membres afin qu'ils s'attèlent à créer des organes de régulation des TIC.
Le Sénégal face à une régulation inachevée
Depuis 1996, les bases de la régulation ont été installées par la séparation de la fonction d'exploitation et celle de régulation. Cette dernière a alors été transférée au ministère des Télécommunications (Kane, 2010). Mais, ce n'est qu'en 2002 qu'une agence de régulation des télécommunications est mise en place. Elle est restée une coquille vide pendant une année avant de voir signer le décret portant sur son fonctionnement et ses modalités de gestion par le président. Malgré tout, l'agence est restée très limitée dans l'exercice de sa mission puisqu'elle n'avait ni le personnel ni l'équipement technique nécessaire à l'exécution des tâches assignées (Kane, 2010). En plus de cette insuffisance, l'agence semblait ne pas avoir le pouvoir requis et les déterminants pour assurer une bonne régulation. Sa dépendance au ministère de tutelle en est le principal obstacle.
En 2011, dans le but de se conformer au droit communautaire (UEMOA et CEDEAO), le Sénégal adopte une loi afin de passer d'une agence à une Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes (ARTP). L'objectif de ce changement est de la doter d'une plus grande autonomie et une transparence dans son fonctionnement. Toutefois, sa mission n'a pas de relation directe avec le commerce électronique ou les réseaux sociaux. Elle est surtout axée sur l'application des règlements par les opérateurs et s'intéresse très peu aux usages des TIC. Malgré la forte progression de l'utilisation des réseaux sociaux, l'ARTP ne s'est pas encore adapté à ces nouvelles tendances à partir d'internet.
L'enjeu majeur est aujourd'hui de créer une situation d'aisance dans l'utilisation des réseaux sociaux numériques en matière de sécurité, de coût et d'accès. Bien que la régulation sur le coût et la qualité soit de mise, il convient pour la population d'avoir la confiance numérique pour mieux profiter des TIC. Dans le domaine de la sécurité, l'action élargie effectuée jusqu'à présent est l'identification des abonnés du mobile.
À côté de l'ARTP qui se charge de la régulation, l'État a mis en place une autorité de veille dont la mission est la protection des données personnelles. En ce sens, le Sénégal a adopté la loi de 2008-12 du 25 janvier 2008 portant protection des données, ayant abouti à la création de la Commission des Données personnelles (CDP). Elle est une autorité de protection de données et de contrôle. La CDP a une mission de sensibilisation pour favoriser la confidentialité en ligne.
Aussi bien l'ARTP que la CDP, leurs actions portent très peu sur les relations entre particuliers dans le cadre de leur échange. Si les sites peuvent se préva loir d'une politique de confidentialité, la vente sur les réseaux sociaux n'a élaboré aucune règle garantissant l'utilisation et le transfert des données des personnes. Notre enquête a montré que certains commerçants peuvent donner le numéro de téléphone de clients à d'autres commerçants parfois sans leur consentement. Hormis cet aspect de transmission des données, le commerce sur les réseaux n'obéit pas souvent aux normes élémentaires de contrat définies par la loi sur le commerce électronique. La Loi n° 2008-08 du 25 janvier 2008 portant commerce électronique, indique qu'en dehors des informations d'usage, le commerçant doit définir clairement les termes de contrat aux consommateurs. En ce sens, en cas de non-respect des accords l'intervention judiciaire est possible sans une grande ambiguïté. Or, les échanges sur les réseaux sociaux ne reposent que sur les discussions entre acteurs qui gèrent à leur façon toutes les sortes de difficultés sans intervention des autorités judiciaires.
Compte tenu du caractère personnel des informations partagées via les réseaux sociaux, il est difficile, voire impossible, de mettre en place une stratégie de régulation. Partout dans le monde, la maitrise de ces informations reste toujours problématique. Pour le cas des activités de commerce à travers des publications sur les murs et statuts des internautes, les autorités semblent n'avoir aucune possibilité d'intervention.
Les réseaux sociaux sont très flexibles. Si la population parvient à s'adapter au point de multiplier le nombre d'acteurs dans le commerce informel, le pouvoir public ne suit pas le rythme de changement occasionné par ces réseaux (Benghozi, 2011). Dans ce contexte, une régulation unilatérale tenue par l'État ne semble pas pertinente. L'implication des différents acteurs notamment ceux considérés jusque là comme discrets est un meilleur moyen pour un contrôle des activités sur les réseaux sociaux. Il est important à cet effet de mettre un environnement géré par l'État, les opérateurs, les associations de consommateurs et les organisations indépendantes, les entrepreneurs pour parer aux activités de gens malintentionnés susceptibles de limiter le potentiel économique des réseaux sociaux.
Conclusion
Le Sénégal a une longue histoire dans le domaine des télécommunications qui commence avec l'installation de la première ligne de télégraphe en Afrique subsaharienne par le pouvoir colonial (Sagna, 2001).
Cependant, la forte utilisation des TIC n'a eu lieu qu'avec le développement du mobile. La téléphonie mobile, dans son évolution, a bénéficié d'un concours de circonstances très favorable à une adaptation massive de la population. De ce fait, les innovations faites dans le sens du mobile ont souvent un grand succès surtout lorsqu'elles s'appuient sur des aspects qui corroborent les réalités socioéconomiques des populations. Les réseaux sociaux Facebook et Whatsapp en sont une parfaite illustration à travers leur pouvoir d'intégration sociale et économique.
La transversalité de ces réseaux a inspiré plusieurs acteurs économiques notamment ceux qui évoluent dans le commerce informel. Ils mettent en valeur des acteurs économiques discrets qui renforcent le secteur informel appelé pourtant à se conformer aux règles économiques et juridiques du pays. L'environnement économique informel est complexe, mais il se dilate grâce à l'utilisation massive des réseaux sociaux malgré la caractéristique de la population concernée. Elle est dominée par la présence de personnes qui ne savent ni lire ni écrire dans l'une des langues les plus utilisées par les applications des réseaux sociaux. Néanmoins, la population continue de s'adapter en orientant leurs activités de sorte qu'elles puissent être portées et promues par ces réseaux. En se fondant sur cet aspect, on rend compte que la rencontre entre les réseaux sociaux et le commerce informel n'a pas pour autant souffert des contraintes d'alphabétisation et de coûts d'utilisation. Le commerce informel s'est appuyé sur des facteurs favorables à une utilisation de masse des outils numériques et des facilités d'usage des applications pour saisir une opportunité inédite d'échanges. Ces facteurs renforcent les pratiques qui touchent des personnes et des lieux dont la présence dans le secteur informel était inattendue.
Mieux, la rencontre entre le commerce informel et les réseaux sociaux soulève une question fondamentale de régulation. Ces deux secteurs en mal de régulation sont devenus une alternative pour une population à la recherche de son bien-être socioéconomique. Sans doute, l'État a besoin d'avoir une main ou un regard sur toutes les activités commerciales effectuées sur son territoire pour se renforcer. Mais, pour agir de manière pertinente, le seul cadre réglementaire défini par des lois n'est pas suffisant. Il convient de faire une meilleure collaboration entre l'État et les différents acteurs du secteur des TIC, ce qui semble être la solution dans ce contexte de forte utilisation des réseaux sociaux.