INTRODUCTION
Les salutations et les termes d’adresse sont des thématiques abordées depuis les premiers niveaux de formation en langues étrangères. Ce sont des composantes langagières qui assurent un climat propice à la communication et à son développement dans un cadre de politesse verbale.
Néanmoins, puisque le répertoire de ces actes de langage et la combinaison des déictiques appropriés en fonction des interactants ne sont pas similaires d’une langue à l’autre, il s’avère toujours pertinent de connaître la spécificité de leur fonctionnement pour développer en particulier les compétences sociopragmatiques et interculturelles. Tenant compte de ces aspects, cet article propose une lecture critique, ainsi qu’une réflexion sur des ouvrages et des notions constituant l’horizon conceptuel et méthodologique des salutations en français comme objet d’étude. Le but est de formuler quelques remarques pouvant être utiles aux enseignants, ainsi qu’aux apprenants de FLE. Il s’agit de notions aidant à mieux comprendre le fonctionnement de ces actes de langage, d’un point de vue synchronique, mais aussi diachronique.
APPROCHES THEORIQUES DES SALUTATIONS
Les aspects ici considérés s’inscrivent dans la perspective interactionnelle où prédominent les approches sociolinguistiques et pragmatiques, afin de mieux aborder la problématique de l’interculturel.
Mauricio Swadesh : approche ethnologique des coutumes verbales
Dans le troisième chapitre de son livre, Swadesh (1966) explique qu’une grande partie des coutumes de toute société fait référence à l'usage de la langue. Ainsi, au moyen de normes qui gouvernent le comportement verbal, tout individu apprend dès l'enfance un ensemble de règles déterminant qui devrait parler avec qui, à quelles occasions et ce qui devrait être dit dans chaque circonstance.
Dans le cas de l’enfant, par exemple, l'auteur signale que vers l’âge de 6 ans, il doit déjà connaître des règles fondamentales comme savoir saluer et dire au revoir selon le moment de la journée, remercier et présenter des excuses, etc. Ces actes de langage s’enrichissent au fur et à mesure que l’enfant grandit et interagit aussi bien avec sa famille qu'avec d’autres personnes.
Apprendre la langue maternelle n’est donc pas seulement acquérir la phonétique, le lexique et la syntaxe. C’est aussi s’approprier toute une série de normes et coutumes qui formalisent l'usage de la langue à l'intérieur de la communauté à laquelle appartient l’individu.
Cependant, ces normes, loin d'être universelles, sont présentées comme spécifiques à chaque culture, variant d'une langue à l’autre et d’une culture à une autre. D’où l'importance d'étudier le fonctionnement des pronoms d’adresse, des titres et des formes de politesse privilégiés par chaque société.
Dans le cas spécifique des salutations, Swadesh présente des aspects concernant le Mexique et d’autres pays. À partir d’une description détaillée des usages linguistiques dans ces pays, l’auteur explique que les formes d’adresse, l’emploi des appellatifs et les termes de parenté en usage au sein d’une communauté peuvent varier en fonction de divers facteurs, comme l’âge des partenaires de l’interaction, leur statut et la situation de communication.
Dans le cas des salutations proprement dites, il montre comment celles-ci peuvent aussi varier d’un pays à l’autre, même s’il s’agit de locuteurs qui partagent la même langue. Il observe qu’à l’intérieur du Mexique, ces formules peuvent différer selon les villes. Par exemple, les « tzeltales » de Chiapas, au lieu d’employer des formules se rapportant au moment de la journée pour manifester qu’ils reconnaissent l’interlocuteur, se limitent simplement à annoncer sur un ton cordial le rapport existant avec la personne rencontrée, se servant d’expressions comme, « mon frère », « mon oncle », « mon grand-père », etc.
L'auteur signale également que l’emploi de termes de parenté est commun dans cette culture, qui utilise des mots tels que « neveu », « cousin » et « frère » pour s’adresser aux amis proches. Ces caractéristiques décrites par Swadesh peuvent aussi être constatées dans l’espagnol de Bogota et plus généralement de Colombie, où des noms d’adresse tels que « vecino », « primo », « papá », « corazón » et « mi amor » peuvent être employés de manière récurrente dans la sphère publique et le commerce, sans donner à ces mots un sens littéral.
Mais comme on peut s’y attendre, des variations se présentent aussi selon les pays et entre les cultures. Un cas présenté par l’auteur est celui de l’Asie, où la position occupée dans l’échelle hiérarchique est prise en compte pour formuler les salutations. Ainsi, la personne de basse extraction doit saluer son supérieur au moyen d’une formule comme « avec votre permission, je suis ici », énoncé auquel l’interlocuteur peut répondre « je vous vois ».
Swadesh explique aussi que la fréquence des salutations peut varier d’une culture à l’autre. À ce sujet, l’auteur signale : « Les Saxons semblent être très sobres et les Latinos prolixes » (Swadesh, 1966, p. 103). Pour illustrer cette affirmation, l’auteur nous explique, par exemple, que lorsqu’un Nord-Américain arrive à une réunion, il peut utiliser tout simplement l’expression « Hello everybody », sans avoir à saluer individuellement tous ceux qui sont présents.
Au contraire, un Mexicain, notamment il est d’origine rurale, prolongera cette routine et saluera en donnant une poignée de main à tous de façon individuelle.
Quant aux formules utilisées pour prendre congé, l’auteur signale que dans différentes sociétés, principalement les sociétés urbaines, les locuteurs se servent de formules variées qui peuvent être plus ou moins limitées, selon la communauté observée. En général, ces actes de parole servent à signaler que la personne se trouve dans l’obligation de partir, à exprimer ses meilleurs souhaits et à évoquer le moment où les participants de l’interaction auront l’occasion de se revoir.
En synthèse, l’auteur montre dans ce chapitre comment les relations sociales se révèlent et se créent à travers les salutations et d’autres formes de politesse comme remercier ou présenter des excuses, aussi bien lorsque des codes sont imposés que lorsqu’ils font l’objet d’un choix ou d’une négociation de la part des individus.
Michel Lacroix : approche anthropologique de la littérature du savoir-vivre
Dans son ouvrage, Lacroix (1990) présente une étude approfondie de ce genre de littérature et de son évolution tout au long de l’histoire. Les chapitres III et IV de la première partie sont les plus importants, parce qu’ils étudient l’origine des salutations et leur évolution dans le temps.
En premier lieu, dans le troisième chapitre, «Contre l’agression », on voit que les salutations font partie des échanges communicationnels quotidiens dans toutes les sociétés ; ils comportent des aspects verbaux (formules verbales) ainsi que non verbaux (gestes). Ces échanges ont un caractère ancestral et ils ont pour but de faciliter le passage de la solitude à la communication sociale.
La politesse du premier contact signifie à la fois amitié et fermeté : c’est le cas des populations des archipels situés à l’Est de la Nouvelle-Guinée, étudiées par l’anthropologue Bronislav Malinovski, où il existe un rituel d’échange de colliers et de bracelets appelé le kula, sorte de commerce rituel accompagné de cérémonies très codifiées. Les Trobriandais accostent sur les rivages du pays Dobu pour pratiquer ces transactions en développant une « comédie de l’hostilité ». Par jeu, certains brandissent leur lance, puis ils la rejettent au loin, en se mettant à sourire ; c’est une attitude qui montre la volonté d’équilibrer l’ouverture et la prudence, l’esquisse d’un mouvement de lance restant le rappel d’une force présente.
La campagne apparaît aussi comme un lieu privilégié de l’échange de salutations qui permettent de manifester la bienveillance des personnes qui se rencontrent. Cette idée est expliquée à travers divers manuels de savoir-vivre : « Écoutons Le savoir-vivre et la politesse : dans un lieu isolé, à la campagne par exemple, il est d’usage de saluer les personnes rencontrées par hasard. » (Lacroix, 1990, p. 39).
Pour sa part, le guide de la baronne de Staffe introduit l’idée de protection envers la femme :
Lorsqu’un homme croise dans la campagne une ou plusieurs femmes inconnues non accompagnées, il doit les saluer, mais sans fixer les yeux sur elles. Ce salut signifie : dans cette solitude ne craignez rien de moi, je vous protégerais, je vous défendrais au contraire. (Ibid., p. 40).
Dans le chapitre IV de la première partie, «La pensée des origines », l’auteur affirme que la genèse des règles de politesse nous renvoie au thème de la sécurité au Moyen Âge ; il avance comme hypothèse centrale qu’à cette èpoque, politesse jouait un rôle d’antidote à la violence La politesse servait à garantir la sécurité. Dès l’antiquité et l’époque médiévale, il s’agissait d’exhiber la fonction défensive et pacificatrice de la politesse. Au Moyen Âge, par exemple, la précaution jouait un rôle décisif dans la bienséance du salut. Autrefois, en effet, il ne fallait pas laisser de doutes sur ses intentions parce que les gestes menaçants ou les actions ambiguës (comme celle de regarder fixement en défiant son vis-à-vis ou laisser fuir le regard de côté, garder la tête couverte du casque du combattant ou tendre la main évoquant celle du guerrier revêtu de son armure), pouvaient déclencher l’agression préventive.
Au Moyen Âge, l’échange des salutations avait un caractère vital, la genèse du salut pouvant se trouver dans le rapport du maître et de l’esclave, du vainqueur et du vaincu. Jadis, c’était une question de vie ou de mort, comme le signale l’auteur : « Dans un monde de barbarie, le salut était vital. » (Lacroix, 1990, p. 38).
Pourquoi tendons-nous la main droite pour saluer ?
Le fait que l’on tende la main droite et non pas la gauche pour saluer relève aussi d’un aspect martial. Il s’agissait de se présenter de manière pacifique, et l’usage remonte au temps où la main droite était celle qui tenait une arme, et où tendre la main nue signifiait que l’on désirait la paix.
Tenant compte de son évolution dans l’histoire, la littérature du savoir-vivre décrit un monde en proie aux agressions et aux antagonismes. Or, c’est la politesse « l’huile dans les rouages » qui va constituer la meilleure stratégie de défense et la régulation la plus ingénieuse des rapports humains. Aujourd’hui, les manuels du savoir-vivre présentent des règles modernes qui prennent leur signification en tant que vestiges de ce passé, portant en elles le souvenir des violences qui ont motivé leur création.
Mais l’auteur signale que malgré le développement de ces normes pacificatrices, il existe toujours la menace d’une régression, dont le lieu de prédilection serait la rue. Par rapport à cet aspect-là, Lacroix (1990) affirme :
Les manuels agitent souvent le spectre d’un effondrement du savoir-vivre dans la foule des passants qui s’ignorent, sous la poussée de forces intérieures incontrôlées, sous la pression d’une bestialité résurgente. L’égoïsme et la violence nous reportent à une préhistoire située en amont de la découverte de la politesse. (p. 53).
L’étude de cet ouvrage nous apporte des éléments qui nous aident à établir une relation entre la politesse et l’importance de maîtriser les formes dont elle s’exprime : à partir de l’approche anthropologique que fait l’auteur de la littérature du savoir-vivre, il montre aussi l’évolution de la politesse à travers le temps.
Sylvie Weil : Le savoir-vivre des salutations
Dans son manuel du savoir-vivre, Weil (1983) présente les changements subis par la politesse au cours des temps et l’évolution de la société occidentale industrialisée. Dans le domaine des salutations, ces expressions étaient jadis accompagnées de grande pompe, et les usages de la Cour française relevaient d’une théorie très sophistiquée qui servirait de modèle à d’autres sociétés. Par exemple, elle explique à partir d’une citation de la Comtesse de Tramar, que les changements de la société à cause de l’électricité et l’essor de la bourgeoisie ont bouleversé radicalement les codes de politesse et les mœurs, considérés comme la norme des couches sociales privilégiées : « Le salut était large, élégant, majestueux ; il symbolisait l’hommage que l’on déposait aux pieds de celui ou celle que l’on honorait de cette politesse. La vapeur, l’électricité ont changé tout cela. Le salut est sec, rapide, on n’a pas de temps de s’attarder à tout cela » (Tramar, cité par Weil, 1983, p. 18).
Mais la simplification des rituels de salutation n’a pas seulement été provoquée par les innovations technologiques ni par l’apogée de la bourgeoisie. Weil explique que déjà, à l’époque de la Révolution française, il y avait eu un refus du respect des hiérarchies en 1792, quand le chef de section des sans-culottes à Paris, François Hanriot, invita les citoyens à ne plus se saluer, puisque cela était un signe d’avilissement vis-à-vis de l’autre. Mais comme nous le savons bien, cette tentative de bouleversement n’a pas été adoptée et les salutations ont continué d’évoluer avec des formes changeantes et complexes, bien que moins pompeuses que jadis.
Quelques formules de salutation :
Parmi les salutations qui relèvent du français standard, les formules « bonjour », « bonsoir », « au revoir » et « salut » sont les plus répandues. Par rapport à son étymologie, « salut » (« hola » en espagnol), vient du latin salus, qui signifie « santé » et par extension, le mot exprime l’action de souhaiter une bonne santé (Weil, 1983, p. 10).
Selon Weil, la formule « comment allez-vous ? » qui accompagne les salutations est parfois considérée comme anodine et très civile. Elle explique que cette question, ou son équivalent plus familier « Comment ça va ? » présente des conditions précises d’utilisation, puisqu’au XVIIe siècle, par exemple, ce genre de question, posée à une personne socialement supérieure passait pour un manque de respect, comme on le voit dans la citation qu’elle fait de Saint Jean-Baptiste de La Salle, en 1695 :
C’est une incivilité de demander à une personne supérieure comment elle se porte, quand on la salue, à moins qu’elle soit malade ou incommodée ; cela n’est permis qu’à l’égard des personnes qui sont d’une condition égale ou inférieure.
Si on veut témoigner à quelqu’un à qui on doit beaucoup de respect, la joie qu’on a de sa santé, il est à propos, avant que de lui parler, de s’informer de quelque domestique, comment elle se porte, et puis lui dire d’une manière honnête : J’ai bien de la joie, Monsieur, que vous soyez en parfaite santé. (Saint Jean-Baptiste de LA SALLE, cité par Weil, 1983, p. 10).
Quant aux réponses à ce genre de questions, la modération est conseillée : « (Très) bien, merci, et vous-même ? », sauf dans le cas où l’interlocuteur ne peut pas cacher qu’il ne va pas bien du tout (boitement, pansements, aphonie, etc.) ou lorsqu’il tient à répandre le bruit qu’il est en mauvaise santé. D’après l’auteure, il est aussi déconseillé de donner des détails, à moins d’être un ami intime ou proche, aspect qui montre l’importance du degré de familiarité dans l’échange des salutations.
Les termes d’adresse sont aussi étudiés dans cet ouvrage. L’auteure signale par exemple que la formule « Bonjour Messieurs-Dames », couramment employée dans les commerces en France est mise en cause par les puristes qui la disent incorrecte ; il paraît qu’il s’agit aussi d’une formule mal vue par les gens dits « chics », qui la trouvent vulgaire, la norme étant « Bonjour Mesdames, bonjour Messieurs ». Continuant avec les vocatifs, Weil explique que dans les relations mondaines, il est conseillé d’éviter la formule « Bonjour Monsieur (ou Madame) + Nom de famille », qui a une connotation rurale, puisqu’elle est considérée comme particulièrement cordiale à la campagne, au marché et dans le commerce.
L’auteure observe qu’en ville, la formule « Bonjour Madame, bonjour Monsieur » peut s’appliquer depuis les voisins de palier, quelle que soit leur situation sociale, jusqu’aux princes du sang (les filles du roi s’appelaient Madame dès la naissance), en passant par le baron, la baronne, la femme du général. Dans l’ancien usage, les formules les plus respectueuses étaient conseillées, comme on le voit dans citation que Weil fait de la pièce de théâtre George Dandin (1668) de Molière :
George Dandin : Puisqu’il faut donc parler catégoriquement, je vous dirai, Monsieur de Sotenville, que j’ai lieu de…
Monsieur de Sotenville : Doucement, mon gendre. Apprenez qu’il n’est pas respectueux d’appeler les gens par leur nom, et qu’à ceux qui sont au-dessus de nous il faut dire « Monsieur » tout court ». (Molière, cité par Weil, 1983, p. 12).
En somme, tout comme nous l’expose Jean-Baptiste Poquelin dans ce bref dialogue théâtral, il s’avère que le déploiement de noms d’adresse tout au long de la conversation n’est ni indispensable ni élégant.
Weil termine le chapitre consacré aux salutations en faisant référence au caractère religieux des salutations au Moyen Âge. À cette époque-là, le salut était une véritable obligation morale et religieuse, il appelait sur la personne saluée les bénédictions divines, comme on le voit dans cette citation de H. Dupin (1931) : Salut, au nom de Dieu le Glorieux, que nous devons adorer, dit Blancandrin à Charlemagne dans la chanson de Roland (composée vers 1080) (Dupin, cité par Weil, 1983, p. 22).
Cette salutation est aussi présente dans des prières traditionnelles de la religion catholique, dont celle de Mgr de Monteil et St Bernard, Le « Salve Regina » : « Salut, ô Reine, Mère de miséricorde, notre vie, notre douceur, notre espérance, salut ! ».
L’étude synchronique de salutations souligne que la langue évolue constamment. Ainsi, l’auteur de ce manuel de savoir-vivre nous apprend que derrière la formule « Salut », qui peut être considérée actuellement comme la plus courante et informelle, repose une évocation religieuse. Aujourd’hui, il serait bien entendu inimaginable que le présentateur d’un journal télévisé commence l’émission en utilisant ce terme. Il est donc intéressant d’observer comment une salutation qui avait jadis une connotation solennelle peut, avec le temps, perdre sa valeur illocutoire de départ et passer à un niveau de langue familier. Par rapport à la formule d’ouverture « salut », il convient également de souligner, dans le cas des apprenants hispanophones du français, que cette formule s’emploie seulement entre pairs et personnes très proches, étant donné qu’il est courant que les étudiants adoptent très facilement cette formule et l’emploient à tort, avec leurs enseignants par exemple, ce qui serait perçu comme un manque de respect en France. Dans le domaine des échanges en milieu académique, il faudrait aussi ajouter qu’à la différence de l’espagnol, où il est courant de s’adresser à un enseignant en lui disant « profesor, profesora » (professeur(e)), en français on se contentera tout simplement de dire « Madame » ou « Monsieur » et non « professeur(e) », car il s’agit d’un terme d’adresse qui n’est pas employé dans le contexte éducatif francophone.
Aujourd’hui, la seule salutation allusive à Dieu en français est la formule de clôture « Adieu ». Elle signifie que l’on se quitte pour toujours. « Adieu » connote une séparation prolongée ou définitive entre les partenaires d’interaction (décès, rupture définitive d’une relation). Voici donc une autre différence de la valeur pragmatique des salutations, car en espagnol « adiós » est une formule employée comme salutation de clôture courante et qui convient en toute circonstance.
L’étude de l’évolution des « rituels d’accès » dans la littérature du savoir-vivre nous semble importante : les ouvrages de Lacroix et Weil sont éclairants en ce sens, dans la mesure où ils fournissent des explications par rapport à l’origine et à l’évolution des salutations à diverses époques, Lacroix privilégiant le point de vue anthropologique et Weil celui des règles du savoir-vivre. Comme on le signale dans la préface de l’ouvrage Trésors de la politesse française: « Rien ne sert de connaître les formules et les usages si l’on ignore tout de la tradition dans laquelle ils s’inscrivent » (Weil, 1983, p. 5).
Goffman et les rituels d’accès
En ce qui concerne la notion de « salutation », nous avons adopté celle qui est présentée par le sociologue Goffman (1973), dans le chapitre 3, « Les échanges confirmatifs » de l’ouvrage La mise en scène de la vie quotidienne, dans lequel il présente le concept de « rituel d’accès », terme technique qui remplace le terme générique de salutations.
Par rituel d’accès, Goffman entend les salutations et les adieux qu’il définit ainsi : « Ce sont des parades rituelles qui marquent un changement du degré d’accès mutuel » (Goffman, 1973, p. 88).
Partant de l’analyse de la religion, dans laquelle Émile Durkheim présente la différence entre rituels positifs et négatifs, les premiers affirmant et confirmant la relation sociale qui unit l’offrant au récipiendaire (présentations, salutations) et les deuxièmes marquant l’écart et l’évitement (excuses), Goffman étudie les rituels interpersonnels positifs qui existent actuellement.
Les rituels positifs servent à marquer la ritualisation de la sympathie et de l’identification ; ils évoquent la civilité et le bon vouloir de la part de l’exécutant. Les négatifs, en revanche, sont centrés sur le respect de la territorialité et les réserves personnelles, raison pour laquelle manquer à un rite négatif implique un échange réparateur.
D’après Goffman, les rituels confirmatifs, comme les salutations et les échanges réparateurs (excuses), sont les actes le plus conventionnalisés et les plus formels réalisés par les individus ; d’ailleurs presque toutes les rencontres entre individus consistent en l’un ou l’autre de ces échanges, comme il le signale dans la citation suivante : « Chaque fois qu’un individu se frotte à un autre, on entend le plus souvent “bonjour” ou “excusez-moi”. Il est grand temps d’étudier ces “bonjour” et ces “excusez-moi”, ou leurs équivalents » (Goffman, 1973, p. 75).
Les salutations font partie des rituels confirmatifs ; elles sont présentes dans toute société humaine et dans plusieurs sociétés animales. Au moyen de ces manifestations, les personnes qui établissent un contact montrent le plaisir d’être ensemble. Pour décrire les rituels d’accès, Goffman tient compte de la relation hiérarchique entre les interactants qui marquent la différence de statuts. Il présente le cas de l’armée américaine, où le subordonné doit saluer le premier et conserver cette position jusqu’à ce que le supérieur lui ait rendu le salut.
Les salutations servent aussi à garantir la sécurité du passage, comme dans le cas de la traversée d’un couloir étroit où les personnes qui ne se connaissent pas témoignent de la bienveillance vis-à-vis de l’autre personne en la saluant. Il en va de même dans les salutations à la campagne. Toutefois, ces échanges ne comportent pas toujours de salutations verbales, ils peuvent tout simplement être remplacés par des gestes ou par des poignées de main (salutations non verbales).
Une condition essentielle pour les rituels d’accès, c’est qu’il y ait du contact entre les interactants. Concernant cet aspect, Goffman signale : « Il est évident qu’une condition préalable à l’accomplissement de tout rituel confirmatif est que le donneur et le receveur soient en contact, que ce soit face à face ou médiatement. Sans contact, pas de rituel interpersonnel » (Goffman, 1973, p. 80).
Comme bases du contact, Goffman mentionne les affaires, le hasard et les cérémonies ; à partir de ces trois contextes, le sociologue nord-américain classe ensemble les salutations en passant, celles qui ont lieu lors des activités quotidiennes et les salutations-surprises qui se déroulent quand les individus se rencontrent inopinément, en les opposant aux salutations qui ont lieu lors de rencontres prévues comme les cérémonies, par exemple. Pour cet auteur « les salutations ont lieu au moment où les individus s’apprêtent à apprécier une augmentation de leur accès mutuel ». (Goffman, 1973, p. 87).
Quant aux salutations de clôture, Goffman pense qu’elles font également partie d’un rituel confirmatif marquant la séparation entre les interactants. Il affirme :
Pris ensemble, les salutations et les adieux sont des parenthèses rituelles qui enferment un débordement d’activité conjointe, des signes de ponctuation en quelque sorte. C’est pourquoi il convient de les considérer ensemble. Plus généralement, les salutations marquent une transition vers une augmentation de l’accès mutuel, et les adieux, vers une diminution de celui-ci. (Goffman, 1973, p. 88).
Divers facteurs interviennent dans le choix des salutations verbales, entre autres le degré d’accès mutuel, l’étroitesse du lien et le type de tolérance rituelle entre interlocuteurs. Par exemple, il explique que la formule « salut » résulte inappropriée venant d’un subordonné à un supérieur, même s’ils partagent un environnement où ils sont en contact fréquent (Goffman, 1973).
Goffman prend aussi en compte la situation de communication où se déroule le rituel d’accès. Quant aux salutations de clôture, Goffman explique que leur choix dépend de la probabilité d’un futur contact entre les interactants, proposant les formules «À un de ces jours » ou « À bientôt » si la probabilité de contact postérieur est forte, et la formule « Au revoir », si la séparation est pour une période plus longue. Une salutation de clôture que l’on peut entendre en France et qui peut sembler un peu étrange pour les allophones est « À un de ces quatre » ; elle indique que les interactants ne savent pas quand ils vont se revoir ou bien que la future rencontre sera fortuite.
En revanche, dans une réception, où les interactants peuvent continuer à se retrouver pendant la durée de la réunion, Goffman estime qu’une formule comme « excusez-moi » ou un geste de la main peuvent marquer la prise de congé. Cela rappelle que l’emploi d’une salutation peut varier selon la situation de communication où se trouvent les interlocuteurs.
Le sociologue et linguiste américain explique que les salutations d’ouverture sont orientées vers la période d’absence qui vient de terminer, tandis que celles de clôture sont orientées vers l’achèvement de la manifestation sociale où elles ont lieu et que ce rituel est plus expansif si la possibilité d’une nouvelle rencontre est minimale.
Bien que les salutations se trouvent présentes dans toutes les sociétés, il n’est pas possible de considérer les rituels d’accès comme une réalité sociale universelle, puisque chaque culture a une façon propre de les envisager. Pour illustrer ces différences, Goffman (1973) présente plusieurs exemples, comme celui du village de Kafr al-Ma’a (Iran), où les hommes et les femmes ne se saluent pas dans la rue, et si ce sont des proches, ils le font sans établir de contact visuel ou après s’être croisés.
Ces derniers exemples montrent que les salutations, loin d’être des actes de langage symétriques d’une langue à l’autre, constituent plutôt des expressions soumises aux facteurs culturels et historiques, propres de chaque société et de chaque langue, et qu’elles peuvent être des indicateurs des différents rapports entre les partenaires d’interaction.
Approche pragmatique des salutations chez Kerbrat-Orecchioni
Nous allons d’abord nous référer à la théorie de la politesse développée par Kerbrat-Orecchioni (2001); cette linguiste revisite le modèle de Brown et Levinson (1987) sous un angle différent, en ajoutant la notion d’acte valorisant pour l’image d’autrui, ou FFA (Face Flattering Act), comme nous le verrons par la suite.
D’une part, le modèle de la politesse de Brown et Levinson a été construit à partir de la théorie gofmanienne, s’inspirant des concepts de « face » et de « territoire » ainsi que de la pragmatique anglo-saxonne de Searle et Austin. Dans ces théories, on considère que chaque individu a deux faces, une positive (l’amour propre, l’aspect narcissique) et une autre négative (le besoin de préserver son territoire) :
Positive face: « the positive consistent self-image or « personality » (crucially including the desire that this self-image be appreciated or) claimed by interactants ».
Negative face: « the basic claim to territories, personal preserves, rights to non distraction, freedom of action and imposition ». (Brown et Levinson, 1987).
D’autre part, puisque les actes de langage sont potentiellement menaçants pour le territoire et pour la face d’autrui, Brown et Levinson ont proposé la notion de FTA (Face Threatening Act) qui est à la base de tout leur système. La fonction de la politesse est donc, de rendre les FTA supportables dans l’interaction par tout un ensemble de procédés linguistiques et non verbaux qui vont consister à adoucir tout FTA afin de préserver l’ordre de l’interaction. Ainsi, la tâche du linguiste consistera à faire l’inventaire de tous ces procédés.
S’interrogeant au sujet des effets des actes de langage sur la face des participants en présence dans l’interaction verbale, Brown et Levinson ont développé un modèle descriptif efficace qui permet de rendre compte des phénomènes de politesse.
Tenant compte des études approfondies menées par Kerbrat-Orecchioni autour de la politesse et des interactions verbales, le problème de la théorie de Brown et Levinson, qui décrit tout acte langagier comme une possible menace pour le territoire d’autrui, c’est qu’elle peut s’avérer quelque peu réductrice, puisqu’elle présente une conception plutôt négative de la politesse. Elle va donc proposer un élément novateur pour comprendre les enjeux et les dynamiques des interactions relevant de la politesse.
L’atout de la théorie de la politesse de Kerbrat-Orecchioni
Catherine Kerbrat-Orecchioni a donc revisité et aménagé cette théorie, et elle a complété la notion de FTA avec celle de FFA (Face Flattering Act) ou acte flatteur, valorisant pour l’image de l’autre, rendant le système plus cohérent et équilibré. Dans cette perspective, la politesse linguistique peut être comprise comme :
un ensemble de procédés permettant de concilier le désir mutuel de préservation des faces avec le fait que la plupart des actes accomplis durant l’interaction risquent de venir menacer telle ou telle des faces en présence, et se ramenant au principe général : « Ménagez-vous les uns les autres ». (Kerbrat-Orecchioni, 1994, p. 88).
En tant qu’énoncés représentant un acte flatteur pour l’image de l’interlocuteur (FFA), les salutations font partie de la politesse linguistique et plus précisément de la politesse positive, qui consiste à produire un acte valorisant pour l’image du partenaire de l’interaction. Comme le signale aussi Traverso (1996), « Les salutations relèvent de la politesse positive, et plus précisément, selon la terminologie de Goffman, des « rites de présentation ». Elles sont les routines fondamentales des ouvertures et des clôtures de conversation » (p. 67). Nous pouvons affirmer que les notions de politesse et de salutation coïncident et constituent des notions fondamentales.
Le chapitre 5, «Quelques actes rituels », présente une description détaillée des actes plutôt codifiés tels que les excuses, le remerciement et les salutations.
Kerbrat-Orecchioni explique tout d’abord que l’on qualifie de « rituels » les énoncés qui ont la double caractéristique d’être fortement stéréotypés dans leur formulation et leurs conditions d’emploi, et qui ont une fonction surtout relationnelle, puisque leur contenu est relativement pauvre. Selon l’auteur, on peut noter cette caractéristique dans les salutations, parce qu’elles sont dépourvues de contenu propositionnel. Cela s’observe dans des formules comme « Bonjour » et « Bonsoir », qui ont perdu leur valeur votive originale en même temps que les deux morphèmes, à partir desquels ces expressions sont formées, ont fusionné.
En ce qui concerne la salutation « bonsoir », on constate que chez certains apprenants hispanophones, il existe des difficultés à écrire correctement ce mot. En effet, on retrouve souvent dans les courriels et dans les copies que les étudiant l’écrivent en deux mots, « bon soir* », au lieu de « bonsoir ». C’est donc un aspect qui peut être abordé par l’enseignant de FLE dans son cours, tout en comparant le fonctionnement de l’orthographe en français et en espagnol. Il en est de même pour le genre de ce mot : tandis qu’en français « soir » est masculin, en espagnol « noche » ou « tarde » sont des noms féminins.
Du côté de la valeur pragmatique de « bonsoir » il convient de signaler sa double fonction, d’ouverture et de clôture : elle peut intervenir pour ouvrir une discussion, ou bien au moment de se quitter.
Les salutations dans le canevas des interactions verbales
Kerbrat-Orecchioni explique que toute interaction est en principe encadrée par deux séquences liminaires, en particulier à fonction phatique, qui sont les séquences d’ouverture ou « conjonctives » et de clôture ou « disjonctives ». Ces séquences permettent d’organiser le début et la fin de la rencontre, moments délicats dans l’interaction étant donné qu’ils impliquent un changement vis-à-vis de l’état précédent.
La séquence d’ouverture
Au sujet de la valeur illocutoire des salutations, le locuteur manifeste en saluant qu’il prend en compte la présence de l’autre dans son champ perceptif et qu’il est disposé à engager avec lui un échange communicatif, même minimal. S’il s’agit d’une personne connue, on manifeste la « reconnaissance », tandis que pour les personnes inconnues la salutation n’est pas obligatoire, sauf dans certaines circonstances comme dans les magasins ou les taxis.
Du point de vue de son organisation interne, l’échange des salutations est symétrique et binaire, lorsque la salutation initiative est suivie d’une salutation réactive. Toutefois, lorsque la salutation est suivie dans le même tour de parole par un autre acte de langage, il est possible d’enchaîner directement sur le deuxième acte, en « oubliant la salutation ». Ne pas saluer représente un affront, c’est-à-dire, un FTA (Face Threatening Act) pour autrui, en termes de Brown et Levinson.
En ce qui concerne son statut pragmatique, la salutation constitue un échange plus complexe si les personnes qui se saluent se connaissent. L’intervention initiative « Comment ça va ? » et ses variantes, ont la forme d’une question et s’apparentent à une salutation, aspect qui du point de vue pragmatique reflète la structure mixte de ces énoncés.
Pour mieux expliquer cette problématique, l’auteur nous présente les propriétés partagées par des énoncés dont « comment ça va ? » et ses variations plus familières « Ça va ? », Ça boume ? », « Ça baigne ? » ou plus relevées, « Comment allez-vous ? ». Ces énoncés ont en commun le fait qu’ils se présentent comme des questions concernant la santé de l’interlocuteur ou d’une manière plus générale, son état général de bien-être ou de mal-être (physique ou psychologique).
Ces énoncés se trouvent généralement dans la séquence d’ouverture de l’interaction et fonctionnent comme des questions, appelant une réponse en forme d’assertion ainsi que comme des expansions de la salutation qui les précède, appelées aussi « salutations complémentaires ». D’après Catherine Kerbrat-Orecchioni, « Ces énoncés comportent donc deux composantes amalgamées, dont le dosage varie en fonction de différents facteurs » (Kerbrat-Orecchioni, 2001 p. 112).
Le premier facteur intervenant dans l’échange des salutations complémentaires est la situation de communication dans laquelle est prononcé l’énoncé. Par exemple, dans le cas du cabinet médical prédomine la valeur de la question « Ça va ? », tandis qu’une rencontre par hasard dans la rue, où les interlocuteurs se croisent sans s’arrêter, prédomine la valeur de salutation. L’auteur explique que dans ce dernier cas, la formule « ça va ? - Ça va ! » agit seulement comme une salutation principale et non pas comme une salutation complémentaire.
Le deuxième facteur qu’il faut prendre en compte pour aborder le sujet des salutations complémentaires est le caractère plus ou moins élaboré de la formulation. Ainsi, dans la salutation « comment vas-tu ? », la valeur de question se maintient mieux que dans « ça va ? ». La salutation « Comment ça va ? » occupe une valeur intermédiaire entre ces deux énoncés.
Par rapport à l’accompagnement para verbal et non verbal, il joue un rôle de renforcement dans la valeur de question ou de salutation. Par exemple, dans la formule « Comment vas-tu ? » il y aura une mimique « tendue » tandis que dans des salutations dont « Ça va ? » ou « Comment ça va ?» s’observe une mimique plus décontractée.
La position de l’énoncé dans la séquence d’ouverture est aussi un indicateur de la valeur pragmatique de la salutation : s’il est placé au début de l’échange, il ressemble à une salutation, mais s’il est différé, il peut être interprété comme une véritable question.
Les informations préalables que les interlocuteurs possèdent sur leur partenaire jouent aussi un rôle important dans l’interprétation de ces questions. En France, la salutation complémentaire de type « Comment ça va ? » présuppose que les interlocuteurs partagent une « histoire conversationnelle » plus ou moins longue, parce qu’elle représente une incursion territoriale (FTA), surtout si elle est posée à une personne que l’on connaît peu ou à un supérieur hiérarchique.
Selon l’auteur, la formule « Comment ça va ? » a actuellement plus une valeur de salutation principale que de salutation complémentaire, surtout dans les rencontres pressées, bien qu’elle ne puisse pas être assimilée à une salutation du type « Bonjour ! ». En fait, l’introduction d’un adverbe temporel comme « aujourd’hui » suffit pour réactiver sa valeur question.
L’échange de salutations peut être complémentaire, « Ça va ? /Ça va ! » ou symétrique, « Bonjour ! -Bonjour ! ». Dans le premier exemple, on sait qu’il s’agit d’une salutation complémentaire parce que l’intonation descendante de l’intervention réactive lui donne une valeur pragmatique différente de celle de l’intervention initiative.
Quant aux réponses aux salutations complémentaires, la question « Comment ça va ? » sollicite généralement une réponse de type positif, enchaînement appelé Préféré ou non marqué qui correspond aux attentes dominantes de l’interlocuteur. Parmi les réponses positives, Kerbrat-Orecchioni propose : « Oui, ça va » et des formulations plus mitigées comme « Ouais » ou « Bof, on fait aller ».
Si la réponse est négative, dite marquée ou non préférée, comme dans les réponses « Pas fort », « Très mal », il y aura une expansion, une suite, sous la forme d’un commentaire explicatif, que le responsable de la question initiale doit faire, comme dans l’exemple suivant : « Comment ça va ? - Pas fort… - Ah bon qu’est-ce qui t’arrive ? » (Kerbrat-Orecchioni, 2001, p. 115).
À partir de l’exemple antérieur, on peut observer que la réponse positive permet d’entamer la conversation, tandis que la réponse négative oblige le locuteur qui a posé la question initiale de demander des explications à son interlocuteur à propos de son état physique ou psychologique, l’engageant à répondre vraiment à la question « Comment ça va ? ».
D’après Kerbrat-Orecchioni, la réponse positive à cette question permet en effet :
au questionneur de faire preuve d’une sollicitude polie envers son destinataire, sans que le risque soit trop grand qu’il ait à endurer les récits des malheurs d’autrui ;
au questionné, d’avoir l’agréable impression que sa personne est l’objet d’une certaine considération, sans être pourtant tenu de se « livrer ». (Kerbrat-Orecchioni, 2001, p. 116).
Dans ce comportement linguistique on peut observer comment les interlocuteurs parviennent à flatter leurs faces positives sans trop mettre en péril leurs faces négatives.
Les remerciements sont aussi présents dans la réponse positive à l’énoncé « Comment ça va ? », comme dans le cas de « Très bien, merci » ou « Ça va, merci ». Au travers les données analysées par l’auteur de cet ouvrage, cet aspect a été observé dans des situations formelles et dans des situations familières quand la question concerne la santé de l’entourage du destinataire. Par exemple, « Comment vont tes parents ? - Très bien, merci ». Le remerciement a ici une fonction de clôture dans l’échange des salutations.
En revanche, il est peu probable de trouver un énoncé comme « pas fort, merci », le remerciement produisant dans ce cas-là un effet bizarre.
Le renvoi de la question « Comment ça va ? » peut aussi avoir lieu une fois que le premier interpellé a répondu comme dans l’exemple suivant :
- Comment ça va ?
- Ça va, et toi ?
- Moi aussi ça va bien ». (Kerbrat-Orecchioni, 2001, p. 117).
Mais l’auteur explique que la routine des salutations se réalise rarement sous cette forme dans les échanges communicationnels authentiques, qui se caractérisent par leur grande « fantaisie structurale » (phénomènes d’ellipses, d’amalgames, de discontinuités, etc.).
L’auteur dédie aussi une partie du cinquième chapitre à expliquer l’ambiguïté de la structure de cette salutation. Lorsqu’ils figurent au début de l’interaction verbale, les échanges de type « Comment ça va ? - Ça va » sont en général des rituels phatiques, grâce auxquels deux personnes qui se connaissent et se rencontrent après une séparation plus ou moins longue déclarent se « reconnaître » et se rassurent mutuellement sur leur état de santé. Mais cela n’est pas toujours le cas, puisque le degré de phaticité peut varier selon la situation d’énonciation, la négociation entre locuteurs jouant un rôle essentiel pour établir la véritable valeur illocutoire de ces énoncés.
La séquence de clôture
Par rapport à la séquence de clôture, elle est composée des salutations proprement dites (« Au revoir », « Adieu », « Bonsoir », « Salut », « Ciao ») et aussi des salutations complémentaires, principalement des vœux et des « projets », actes hybrides dans la mesure où ils ont certaines spécificités qui empêchent de les assimiler totalement à des salutations. Par exemple, le vœu peut entraîner un remerciement comme dans le cas de : « Bonne soirée - Merci ! ».
La linguiste de l’Université Lumière Lyon II explique qu’une expression votive de ce type est un acte de langage assez flatteur pour mériter une manifestation de gratitude, tandis que la salutation doit se contenter d’une autre salutation en retour. Quant aux projets du type « À bientôt », « À tout à l’heure », « À la prochaine », À un de ces quatre », « À plus », ils peuvent être accueillis par un « d’accord », ce dernier étant exclu après la salutation.
Mais elle signale aussi qu’il y a des échanges qui passent pour parfaitement satisfaisants, témoignant une certaine équivalence fonctionnelle entre la salutation de clôture, le vœu et le projet, comme dans les exemples suivants : « Au revoir - Bonne soirée ! », « Salut - À bientôt ! », « Bonne soirée - Adieu ! », « À bientôt - Salut ! » (Kerbrat-Orecchioni, 1994, p. 121).
Ce phénomène ébranle donc la croyance en l’existence de frontières claires entre actes de langage, comme on l’observe à travers d’une citation de Véronique Traverso faite par Kerbrat-Orecchioni :
Ces différents actes sont amalgamés dans la séquence ; il arrive qu’ils ne donnent pas lieu à des échanges complets, mais qu’ils s’enchaînent, l’un apparaissant alors comme la réaction à l’autre. […] Le fait sur lequel il semble intéressant d’insister est l’amalgame de ces routines, aussi bien dans la séquence de clôture que dans celle d’ouverture. Il est souvent impossible d’isoler les salutations proprement dites de l’ensemble des autres actes rituels se déroulant dans ces deux séquences. (Traverso, cité par Kerbrat-Orecchioni, 2001, p. 121).
La linguiste française signale aussi que le fait que l’on ait affaire à des catégories « floues » pose quelques problèmes aux linguistes chargés de décrire et de classer les données hybrides des salutations en français : « La structure hybride « (Comment) ça va ? » ne doit pas être considérée comme une monstruosité linguistique, mais bien au contraire comme une sorte de figure emblématique du fonctionnement réel de la communication » (Kerbrat-Orecchioni, 2001, p. 122).
D’une manière générale, la révision de ces ouvrages permet de saisir les aspects simples mais à la fois dynamiques de l’emploi de salutations en tant qu’actes de langage qui vont donner les paramètres servant d’indicateurs de la relation entre interactants. Les salutations fournissent le cadre de l’interaction verbale, permettant d’entamer ou de clore la communication de manière satisfaisante.
MAITRISE DE SALUTATIONS ET DES TERMES D’ADRESSE : ANALYSE DE QUELQUES ÉCHANGES INFORTUNÉS
Après avoir pris en compte la littérature du savoir-vivre, des approches ethnographiques, littéraires et linguistiques autour des salutations, on passera à l’analyse de trois exemples qui mettent en relief la complexité de la maîtrise des formes d’adresse et des salutations, que ce soit en contexte endolingue ou chez des apprenants de FLE. Pour ce faire, J’ai recueilli en 2018 un corpus en milieu scolaire dans un lycée français de Colombie, et deux extraits provenant d’un journal télévisé et d’un film français. On va donc s’intéresser à un premier corpus qui met en relief la complexité de l’emploi des salutations. Ensuite, à travers deux autres brefs corpus, l’intérêt se portera sur les enjeux de la hiérarchie dans la communication et l’importance de savoir comment employer les pronoms d’adresse dont le tu et le vous correctement dans les contextes qui impliquent des rapports de subordination (en milieu scolaire en occurrence).
Ça va Manu ?
L’emploi des salutations peut s’avérer compliqué lorsque les variables classiques comme l’âge, le statut socio - économique et professionnel de l’interlocuteur ne sont pas prises en compte, créant des situations embarrassantes ou des malaises communicationnels. Ceci peut arriver non seulement dans le cas des échanges exolingues (apprenants de FLE), mais aussi entre locuteurs partageant la langue première. Pour illustrer cette idée, évoquons l’échange entre le Président de France et un collégien de classe de Troisième, ayant eu lieu à Suresnes (Haut-de-Seines) lors d’un acte solennel pour la commémoration de l’Appel du 18 juin au Mont-Valérien en 2018 :
Corpus collégien - Président E. Macron
Situation de communication : E. Macron salue des collégiens dans la foule pendant un acte public solennel. Le collégien se tient derrière une barrière, depuis laquelle, accompagné d’autres pairs, il adresse sa salutation verbale au Président (Le Huffpost, 2018).
(...)
Collégien : ça va Manu ?
E. Macron : non, euh... ça, tu ne peux pas, non, non, non, non
Collégien : Pardon, excusez-moi, Monsieur le Président.
E. Macron : Voilà, tu es là dans une cérémonie officielle, tu te comportes comme il faut
Collégien : oui
E. Macron : Tu peux faire l’imbécile, mais aujourd’hui c’est la Marseillaise et le Chant des partisans. Tu m’appelles Monsieur le président de la République ou Monsieur. D’accord ?
Collégien : oui Monsieur. D’accord.
E. Macron : C’est bien. Et tu fais les choses dans le bon ordre. Le jour où tu veux faire la révolution, tu apprends d’abord à avoir un diplôme et à te nourrir toi-même, d’accord ?
Collégien : oui
E. Macron : et à ce moment-là, tu iras donner des leçons aux autres (en lui tapotant l’avant-bras)
(...)
À partir de l’analyse de la transcription de cet échange verbal, il apparaît que le degré de distance entre les locuteurs, ainsi que la prise en compte de l’âge et du statut de l’interlocuteur sont essentiels dans l’emploi de salutations, de même que le choix du nom d’adresse. En effet, ce qui crée un malaise est la proximité excessive établie par le jeune collégien face au Président (ligne 1), en lui adressant une salutation qui peut avoir la fonction d’une salutation familière et informelle. De même, l’énoncé du jeune, accompagnée du diminutif du prénom de l’interlocuteur « Manu », établit un rapprochement perçu comme irrespectueux par le récepteur, Emmanuel Macron.
Dans cet échange communicatif, la non-maîtrise du système de politesse de la part de l’adolescent est flagrante. Sa salutation spontanée fait place à tout un tas de réflexions de la part du président qui lui ont rappelé l’importance de la bienséance dans ces routines verbales (lignes 2, 4, 6, 8). Cet échange crée aussi un FTA (Face Threatening Act) pour le jeune collégien qui accepte la réprimande et n’a pas le moyen de réagir à l’interpellation qui lui est faite par l’adulte, qui lui dit « tu peux faire l’imbécile » (ligne 6) et lui rappelle le caractère solennel de l’évènement auquel il se rend.
Le corpus précédent est un exemple de la remise en place des rôles des interlocuteurs (d’une manière un peu abrupte) et s’avère intéressant pour la classe de FLE, spécialement pour les apprenants hispanophones, car il permet de montrer aux étudiants que la maîtrise de la politesse verbale et du répertoire langagier va au-delà de la simple intégration de phrases et de formules. Au contraire, elle implique la connaissance des variables sociales et culturelles qui entourent les partenaires de l’interaction verbale et la prise en compte de la situation de communication.
Le problème de la variation individuelle, par rapport au contexte, apparaît également ici, vu que l’acte de langage prononcé par le jeune n’avait pas pour but d’offenser l’interlocuteur, mais au contraire cherchait à créer un rapport de sympathie. Nous pouvons ici faire référence à Van Dijk, qui signale à propos du contexte :
Despite the constraints of the social [situation], it is the subjective representation of such situation that controls text and talk, and such a subjective representation may very well violate socially shared rules for a number of more or less valid reasons: resistance and challenge, creativity and originality. (Van Dijk, cité par Micheli, 2006, p. 9).
Les pronoms d’adresse comme marqueurs de la distance et du rôle des interlocuteurs
De la même manière que l’emploi formel ou informel de salutations doit être accompagné du terme d’adresse adéquat, il en est de même en ce qui concerne l’emploi des pronoms d’adresse de deuxième personne du singulier. Dans l’exemple de la réprimande que M. Macron fait au collégien qui lui dit « ça va Manu ? » (ligne 1), le Président répond en tutoyant le jeune (lignes 4, 6, 8, 10), ce qui augmente la dyssimétrie entre interlocuteurs, où l’adulte peut tutoyer, mais en revanche, l’enfant ne peut pas le faire, car cela serait irrespectueux. Le collégien en est bien conscient, comme le montre lorsqu’il présente des excuses en vouvoyant Emmanuel Macron (ligne 3) : « Excusez-moi, Monsieur le Président ».
Dans le cas des contextes exolingues, le bon choix du pronom d’adresse, que ce soit le tutoiement ou le vouvoiement, relève aussi d’une bonne maîtrise du système pragmatique du français. Il peut y avoir des interférences avec les emplois que les locuteurs hispanophones font des pronoms d’adresse dans leur propre langue. Prenons le cas d’un établissement scolaire de Bogota (Colombie), où, tout comme en France, les professeurs attendent l’emploi du vouvoiement de la part des élèves envers eux. Mais ceci peut être un thème peu clair chez les jeunes qui emploient le français comme langue de scolarisation, mais qui pourtant ne maîtrisent pas forcément les normes pragmatiques en vigueur dans l’Hexagone. Cet emploi différencié culturellement est évoqué par un professeur d’Histoire - Géographie qui envoie des conseils à travers une vidéo où des professeurs et des élèves souhaitent un bon voyage à deux élèves qui quittent le collège à la fin de l’année scolaire en Colombie, pour aller habiter en France. Dans son message, l’enseignant leur donne quelques recommandations à retenir en milieu scolaire français :
Corpus enseignant en classe de 6ème
Locuteur : homme d’une cinquantaine d’années.
Bogota, juin 2018
Enseignant :
« (...) euh, bonjour Enzo, donc, quelques petits conseils pour l’année prochaine, il ne faut pas
tutoyer son prof, il faut le vouvoyer, ça c’est la première chose, et deuxièmement, euh, et
bien, travaillez comme vous l’avez fait cette année, avec plus de rigueur, et euh, ce sera parfait.
Au revoir Enzo. Euh, bonjour Daniel, alors, l’année prochaine vous allez en France, je ne sais
pas où vous allez, mais, un, on se, en France on se, on s’adosse pas (sic.) contre le, contre le
mur, parce que vous allez (rires) avoir des professeurs qui vont pas (sic.) être sympathiques
avec vous, et puis faites attention , ils ont pas (sic.) forcément toujours beaucoup d’humour.
Donc, voilà, bonne chance pour, euh, pour l’année prochaine et puis revenez-nous vite parce
que je crois que vous partez qu’un an et puis vous revenez après. Au revoir, Daniel ».
Dans les conseils donnés par l’enseignant, on constate avant tout l’importance donnée au vouvoiement en France dans des situations formelles et qui exigent un degré de subordination face à l’interlocuteur. On observe l’emploi du vouvoiement de la part de l’enseignant français envers les élèves colombiens (lignes 3, 6, 7, 8, 9, 11, 12) ce qui confère un ton de solennité et d’autorité envers les jeunes. D’une autre part, on voit aussi que les conseils donnés par le professeur portent sur la correcte posture à garder lors des exposés, mais également sur la vision de cet enseignant français vis-à-vis d’un élève colombien qui ne va pas retrouver le système hispano-américain de communication en France (« ils n’ont pas beaucoup d’humour », lignes 9-10). Ici nous abordons un aspect plus proche des imaginaires linguistiques et des éthos communicatifs, qui caractériseraient les relations entre professeurs français et élèves colombiens ; on pourrait assumer que les interactions dans le contexte éducatif colombien seraient plus drôles et bienveillantes qu’en France.
Les recommandations auparavant présentées montrent que l’aspect diaphasique est aussi relevant dans ce type d’interactions verbales en milieu scolaire : si bien le tutoiement de la part d’un professeur n’est pas un affront, le cas contraire en est bien un en France, comme l’on peut le constater à travers le corpus suivant, extrait du film, Les Grands Esprits (Ayache-Vidal, 2017). Il s’agit d’un récit filmique qui reflète la situation actuelle de l’éducation en France (Gadet, 2007; Goudaillier, 1997). Le protagoniste du film, M. Foucault, professeur agrégé de Lettres exerçant depuis longtemps au prestigieux lycée Henri-IV de Paris, accepte une mutation en banlieue parisienne, dans un collège classé REP (Réseau d’Éducation Prioritaire). Dans une scène du film qui recrée une classe difficile, M. Foucault demande à l’un des élèves, Sidou, de lui donner son carnet de correspondance, afin de le sanctionner pour son attitude insolente pendant le cours. Mais sa requête n’est pas accomplie et l’échange verbale vire à l’emploi du tutoiement de la part de l’élève envers le professeur (corpus La réprimande à l’élève - No. 1). Par la suite, nous analysons une autre scène où le conflit dans la salle de classe est déclenché par l’attitude nonchalante de l’adolescent, qui s’endort sur son bureau (corpus La réprimande à l’élève - No. 2). Les attitudes langagières de l’élève posent un défi à la norme, et conduiront le collégien au bureau du Principal, dans une autre scène du film, bien entendu.
Corpus « La réprimande à l’élève - No. 1 »
Film : Les Grands Esprits (Ayache-Vidal, 2017), 20’43" - 21’10"
Professeur : où est votre carnet ?
Elève : dans mon sac
Professeur : bon, alors, donnez-le-moi, s’il vous plaît
Elève : je ne suis pas votre chien, vous n’avez qu’à venir le chercher
Professeur : je ne fouille pas dans les sacs
Elève : c’est pas (sic.) mon problème
Professeur : je vous préviens, si vous ne me donnez pas votre carnet, ça va très mal se finir ; je compte jusqu’à trois. D’accord ? Un, deux
Elève : trois, tu vas faire quoi, tu vas me frapper ?
Corpus « La réprimande à l’élève - No. 2 »
Film : Les Grands Esprits (Ayache-Vidal, 2017), 26’17 - 26’41"
L’élève est allongé sur son bureau pendant le cours de M. Foucault.
Professeur : Sidou ? Sidou, ça va, je ne vous dérange pas ?
Élève : non, ça va.
Professeur : vous plaisantez-là.
Élève : hé, j’ai (sic) rien fait !
Professeur : ben, justement, c’est ce que je vous reproche, vous ne faites rien, vous dormez, vous entendez ce que je vous dis ?
Élève : hé, je dérange (sic) personne, je dors.
Professeur : bon, allez, redressez-vous immédiatement.
Élève (en criant) : vas-y, lâche-moi !
Professeur (en criant) : ça va pas (sic.), non ? vous ne me parlez pas comme ça, vous ne me tutoyez pas!
Les corpus précédents recueillis montrent également que lorsqu’il y a un affrontement, la langue française va privilégier l’emploi du tutoiement pour exprimer la colère et le manque de respect envers son interlocuteur (lignes 8, corpus 1 et 2). En effet, tandis que le professeur garde tout au long de son interpellation le vouvoiement, l’élève finit par passer au tutoiement à la fin, pour mettre en relief son mécontentement pour cette réprimande.
En conclusion, qu’il s’agisse de l’emploi des pronoms d’adresse ou des salutations, on ne peut pas se contenter de la théorie, mais il faut être attentifs aux aspects variables et subjectifs qui rendent compte du rapport existant entre les interlocuteurs.
Les aspects abordés dans le présent article n’ont pas une visée exhaustive de la problématique des salutations. Ils tentent néanmoins d’esquisser une approche de la complexité des échanges verbaux quotidiens ; les salutations, actes de langage appris depuis les premiers niveaux de l’étude des langues étrangères ouvrent toujours la place à des questionnements sur les rôles joués par les interactants, ainsi que sur les mécanismes d’accommodation déployés par les locuteurs, afin de garder et préserver leurs faces. C’est donc un sujet qui doit être discuté et travaillé par l’enseignant, afin d’aider ses apprenants à apprivoiser et à mieux comprendre la variation et la maîtrise des différents niveaux de formalité en langue étrangère.
Finalement, bien que cet article soit centré principalement sur des aspects langagiers, il faut aussi prendre en compte que les mécanismes linguistiques déployés pendant les échanges communicatifs sont en train d’évoluer, car nous vivons une période où la crise sanitaire a fortement bouleversé la communication face à face. Du point de vue des aspects non verbaux des salutations, par exemple, on constate que la double bise en France continue de se faire entre personnes proches, mais des salutations dont les poings fermés qui se touchent brièvement commencent à s’imposer également, en détriment de la poignée de main traditionnelle. Cet aspect est mis en évidence dans un extrait d’un article du journal Le Monde (Herzog, 2020) :
« Mars 2020, scène ordinaire de la vie de bureau : « Coucou, on se fait la bise ? - Non. - On se check alors ? - D’accord, moi je fais le“footshake”à la Wuhan[salut du pied], et toi ? - Moi, le“elbow bump” [bonjour du coude], comme le vice-président américain, Mike Pence. - Ah, on a qu’à en inventer un à nous alors : on pourrait faire un“high five”sans se toucher, puis tourner sur nous-mêmes une fois, et finir en claquant des doigts, pour le fun. »
La politesse et son expression restent des domaines dynamiques et changeants qui doivent être discutés et analysés au sein de la classe de langue. De nouvelles études, longitudinales et approfondies s’avèrent donc nécessaires aujourd’hui pour continuer de répertorier l’évolution de ces échanges verbaux et non verbaux, leurs variations diaphasiques, diastratiques et diatopiques.